Lancé en 2009 par la journaliste colombienne Juanita Leon Garcia, le média en ligne indépendant « La Silla Vacía » (ndlr: la chaise vide en français), produit du contenu journalistique d’intérêt public tout en restant économiquement viable. Décryptage de son business model.
Entre méfiance du public, baisse des revenus publicitaires et pandémie de Covid-19, les médias sont en proie à une sérieuse baisse de recettes. Lorsque la situation devient particulièrement compliquée pour une rédaction, trouver une source de financement est indispensable à sa survie. Mais dans un pays du sud comme la Colombie, derrière les annonceurs, investisseurs et mécènes, se cachent parfois des intérêts politiques ou économiques. Pour préserver son indépendance éditoriale, La Silla Vacía a fait le choix de se passer de la publicité en développant un business model créatif.
Lutter contre la censure
Placée 134ème sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières, la Colombie fait partie des pays sud-américains les plus dangereux pour les médias et une menace permanente pèse sur les journalistes locaux. Le pays est enlisé dans un conflit entre le gouvernement et les forces armées révolutionnaires (FARC) depuis les années 60. De plus, face aux dirigeants accusés de corruption, la population fait preuve d’une forte mobilisation. Dans ce contexte tendu, La Silla Vacía pratique un journalisme d’intérêt public traitant sans filtre de la politique colombienne en réalisant des enquêtes d’investigation, podcasts et vidéos sur des terrains où la plupart des autres médias n’osent pas s’aventurer. Mais pour cela elle a besoin d’argent.
Pas de pub mais des super amis
Au départ, La Silla Vacía a misé sur le crowdfunding. Il a d’ailleurs été le pionnier de cette démarche dans le paysage journalistique sud-américain. De là est né le concept de « Super Amigos », le nom qu’il donne à ses plus de 1200 membres qui apportent une contribution pécuniaire. Plus que de simples abonnés, ils profitent entre autres de cours virtuels gratuits, d’invitations à des événements, de mémos WhatsApp résumant l’actualité hebdomadaire ou encore d’une participation à des cafés-dialogues avec la rédaction. Cette formule payante, qui constitue 10% des entrées financières du média, permet également d’intégrer la communauté au cœur de la ligne éditoriale.
Ya están abiertas las inscripciones para “Café, Galletas y Política”, un espacio que comienza este 8 de marzo en el que discutiremos lo que se juega en estas elecciones.
— La Silla Vacía (@lasillavacia) February 25, 2022
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Diversification des moyens de financement
Au fil des années, La Silla Vacía multiplie les sources de revenus grâce notamment à des projets commerciaux. Ceux-ciprennent la forme de services proposés moyennant une participation financière comme des formations, des articles académiques (La Silla Academica), ou la vente de bases de données collectées par ses journalistes (La Silla Datos). En 2018, le pure-player rejoint le programme de Fact-checking de Facebook. La Silla Vacía s’appuie aussi largement sur des dons dans le cadre de divers projets de coopération internationale avec des institutions philanthropiques. Parmi les contributeurs, on trouve l’ambassade britannique en Colombie, l’Université de New York, la fondation FORD ou l’Open Society.
Formule taillée pour le digital
Selon le rapport de consommation des médias 2021 de l’Institut Reuters, les médias en ligne représentent en Colombie 87% des sources d’informations auprès de la population. Dans ce contexte, le fait d’avoir opté pour le modèle pure-player leur permet d'éviter des frais liés à l'exploitation d'un titre print. Grâce à une approche journalistique communautaire et une palette variée de revenus, La Silla Vacía parvient à tirer son épingle du jeu dans le paysage médiatique local. En 2020, selon son rapport d'activité, La Silla Vacía, a dégagé un bénéfice d'environ 400 millions de pesos colombiens, soit environ 100'000 francs suisses. Toujours selon l'Institut Reuters, le média atteint 9% de parts de marché dans le numérique. Même s'il ne rivalise pas avec les 40% de la version digitale d’El Tiempo, le quotidien du milliardaire Luis Carlos Sarmiento Angulo, La Silla Vacíaprouve depuis 12 ans qu’il est possible de faire du journalisme indépendant dans un pays en développement, tout en préservant son intégrité éditoriale.
Par Emmanuel Bessadet
Ce travail journalistique a été réalisé pour le cours “Production de formats journalistiques innovants”, dans le cadre du master en journalisme de l’Académie du journalisme et des médias (AJM) de l’Université de Neuchâtel.